Présentation

Ayant éprouvé la paralysie c’est tout naturellement que je commence dès juillet 78 dans le service de Neurologie du professeur Jullien au CHU de Bordeaux. En court séjour, on ne voit pas les patients longtemps mais on en voit beaucoup. Après huit mois d’hôpital, je suis recruté par le Docteur Edwige Richer qui m’avait connu en stage pour appliquer la méthode Bobath au centre de traumatisés crâniens de LADAPT (Cénac, 33).

Les premiers jeunes traumatisés que je rencontre sont spastiques et rétractés, et je crois que c’est parce qu’on n’a pas appliqué sur eux la méthode Bobath. Je démonte les cages de pouliethérapie remplacées par des tapis et un podium. J’applique le bilan Bobath: « Posture d’inhibition de la spasticité, qualité du mouvement, recherche des réactions d’équilibration et protections automatiques (35 pages). Je respecte la progression du développement psychomoteur de l’enfant ! Après dix huit mois de cette rééducation appliquée, les «faucheurs» fauchent, les «steppeurs» steppent, les «trembleurs» tremblent !

Comme je les empêchais de marcher pour ne pas qu’ils prennent de mauvaises habitudes, beaucoup ont appris à marcher hors kiné et en famille. A l’automne 80, je fais un exposé pour prévenir le Docteur Richer que je change de paradigme : du «cure», je passe au «care». Je m’appuie sur deux ouvrages de recherche fondamentale (Delacour, 1977; Laborit, 1980) que j’ai connu par le film d’Alain Resnais «Mon oncle d’Amérique». J’arrête de «lutter contre» la spasticité, je vais désormais « faire avec ». Je ne soigne plus la paralysie mais les patients paralysés. Je les filme, je les photographie et à partir de techniques béhavioristes, je les conditionne à utiliser au mieux leurs capacités restantes tout en cherchant néanmoins à « corriger leurs défauts » par des procédés de marche contrainte. Je reviens à mon projet professionnel initial: enseigner le mouvement!

On transgresse les principes Bobath: on fait de la musculation, de l’entraînement à l’effort, je les entraîne à marcher vite et longtemps. On shunte les étapes du développement psychomoteur. Le médecin me laisse quartier libre et Taillefer, le psychologue du centre jubile : «Enfin tu t’aperçois que le trauma crânien n’est pas un bébé géant ! C’est un adulte blessé !» Il a des restes de sa motricité antérieure « mixés » à la blessure neuronale, au besoin, au désir et à la blessure narcissique. Après quatre ans de cette pratique intensive de la rééducation, j’ai un accident de moto provoquant une fracture ouverte du tibia qui me prive de la marche pendant six mois.

En deux accidents je cumule près de deux années d’incapacité totale et plus de quatre cents séances de kinésithérapie. A seize ans, j’avais vécu l’accident comme un rite initiatique valorisant, à trente et un ans, avec deux enfants en bas âge, je suis une charge de travail supplémentaire pour mon épouse infirmière. Je mets à profit cet arrêt forcé pour produire un mémoire (Laurent, 1986) qui me permet de décrocher une bourse de trois mois dans le service de «Restorative Neurology » du Pr. Dimitrievic au Huston Baylor College. Au retour de ce séjour américain, et après neuf ans au centre de Réadaptation des traumatisés crâniens, je vis mal le salariat qui bride ma recherche sur l’espace de rééducation. J’ouvre donc un cabinet libéral qui va me servir d’atelier expérimental sur l’espace de neuro-rééducation. En trois ans, je refais trois fois la salle pour arriver à la réalisation d’une « cage qui libère ». Cet espace permet à la personne cérébro-lésée de construire seule son équilibre debout (Piaget - assimilation) en maîtrisant sa peur de tomber. La chute est arrêtée par un appui ou par un élastique accroché à un harnais (accommodation). Avec quatre cages face à face et un parcours de mini-cages, on peut travailler en groupe (socio-constructivisme) et rallonger ainsi le temps de répétition « loi universelle de la pratique »(Newell et Rosenbloom, 1981). L’espace étant réalisé, je conçois un cahier synoptique de rééducation (Laurent, 1992) afin d’utiliser au mieux la connaissance des objectifs et du résultat « condition sine qua non de l’apprentissage » (Annett et Kay, 2005). En 1993, nous créons le triathlon des copains clopant, manifestation ludique qui permet encore aujourd’hui aux personnes cérébro-lésées de nager, pédaler, marcher dans deux manifestations ludiques annuelles. Parallèlement, j’enseigne la rééducation des personnes cérébro-lésées à l’école de kinésithérapie de Bordeaux.

A partir de 1999, je suis invité à deux conférences de consensus, (Sclérose en plaques et Handicap) (sites 1 et 2), dans des congrès nationaux et dans quatre écoles parisiennes pour exposer le concept de neurokinésithérapie de groupe par auto-organisation. C’est aussi en 1999 que je crée un deuxième, puis en 2002 un troisième cabinet de neurokinésithérapie construits sur le même modèle. Nous sommes alors sept, cinq kinésithérapeutes et deux orthophonistes lorsque nous sommes rejoints en 2003 par le Dr. Wiart médecin de rééducation en Neurologie. En 2006, nous constituons la « SCI Neuro-Jacquet » qui permet début 2014 à quatre de nos collègues de créer un nouveau cabinet rive droite, sur le même concept. Nous sommes maintenant sept kinésithérapeutes, six orthophonistes, une psychologue et un médecin MPR, copropriétaires exerçant sur trois sites différents à Bordeaux. Nous consacrons toute notre activité libérale à la rééducation en neurologie ce qui en fait une structure unique en France.

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