16) Réflexions,Remarques

Apprentissages lents


- Aux profs de math


Les enfants IMC même avec des mains indemnes de toute affection neurologique ont un retard psychomoteur sur l'adresse.
Ce retard psychomoteur les a empêché de manier les bûchettes, les jetons, qui servent à compter. Ils ont beaucoup de mal ensuite à tirer un trait avec une règle, et ils ne peuvent pas construire leur "bosse des maths" à la même vitesse que les autres.
Donc il faut vérifier le niveau, depuis la base et remonter progressivement pour fabriquer une niche corticale pour que les mathématiques fabriquent leurs synapses.


- Aux moniteurs d'auto-école


Les jeunes IMC n'ont pas fait du vélo à 40 à l'heure en descente quand ils étaient enfants. Ils ont fait du tricycle à 5 km/h. Il leur manque donc des centaines d'heures d'apprentissage des trajectoires et de domestication du danger.
Leur apprendre à conduire devient un problème économique, mais pas un problème de capacités.
Quand un enfant standard nécessite 20 heures d'apprentissage, un IMC après 40 ou 60 heures n'a toujours pas les bases et on abandonne l'apprentissage. Les pouvoirs publics ne financent pas un apprentissage de 100 ou 150 heures. Mais qu'est-ce que 100 heures d'apprentissage? 3 semaines dans une vie! Parce qu'on n'a pas les moyens de financer 3 semaines d'apprentissage, on décrète la personne incapable d'apprendre à conduire!
Or s'il est des personnes qui ont la nécessité d'avoir une voiture particulière c'est bien les personnes handicapées motrices!


"...L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait..." 

L'albatros, Baudelaire
http://bacfrancais.chez.com/albatros-baud.htm

Que dit le peuple IMC?
Quand je dis à mes patients IMC que désormais,
on ne dit plus IMC mais PC, Paralysie cérébrale
ils se sentent un peu agressés!

"PC? comme Politiquement Correct?
Qui a décidé ça?

- les médecins dans les congrès, dans les publications afin de mieux se comprendre quand on parle de vous ont pris l'habitude d'adopter la terminologie anglo-saxonne!
- parce qu'on parle de nous dans notre dos?"
Apparemment le mot "infirme" ne dérangeait pas les Infirmes Moteurs Cérébraux.

Ils modifiaient à l'envi le sens de l'acronyme, mais c'était le leur.

Ils s'en étaient même emparés, comme d'un fanion, un drapeau, un étendard.
Une cour des miracles défilant dans la rue. Une fierté gaie et cynique.

"Incapable de Marcher Correctement" était la moins triviale.
Comme Cyrano tirant les vers du nez
se le servant lui-même avec assez de verve
et ne permettant pas qu'un autre le lui serve!

Infirmus en latin signifie qui n'est pas solide, faible.
IMC signifiait bien une Faiblesse Motrice d'origine Cérébrale.

L'IMC s'est forgé au cours de son enfance et de son adolescence une sorte de solidité morale qui fait qu'il est prêt à revendiquer son nom porteur de son identité.

Lire aussi  Alexandre Jollien "Le métier d'homme".

L'IMAGE DU CORPS


S est athétosique.
Elle s'est vue un jour par hasard sur une vidéo réalisée lors d'une fête de famille.
Tout d'abord elle ne s'est pas reconnue.
Quand elle a compris que c'était elle, elle s'est enfuie et refuse depuis de voir un film d'elle.
Elle connaissait son image à travers des photos faites par sa mère. La photo l'immobilisait dans une pause. Elle n'avait pas réalisé la façon qu'elle avait de se mouvoir.
S est capable de marcher sans canne plusieurs km à 5 km /h. C'est une marche choréo athétosique classique, les genoux en dedans et les bras enroulés. Elle est même capable de courir à 9 km/h sur 100 mètres.
A partir de 30 ans elle a commencé à se fatiguer lors de grandes marches en ville et elle a pris un fauteuil roulant électrique. Elle a alors constaté que le regard des gens n'était plus le même. Avant elle se sentait regardée comme une handicapée mentale, maintenant elle se sent considérée comme une handicapée motrice.


Analyse Quantifiée de la Marche

L’analyse Quantifiée de la marche fait partie des apprentissages globaux par attention interne. Dans un test de 10 mètres on est en démonstration. On se plie à une consigne, on est acteur d’une scène qui ressemble plus à du cinéma qu’à de la kinésithérapie qui partagent il est vrai la même étymologie. Le patient acteur se plie au désir du kiné réalisateur. Il joue à un jeu de simulacre (Caillois). On est donc dans une circuiterie cérébrale différente d’une marche fonctionnelle de 10 mètres où l’on se lève du canapé pour aller se servir un verre d’eau à la cuisine. Il faudrait donc laisser les tests pour ce qu’ils sont, une indication parmi d’autres. Parmi eux, l’Analyse Quantifiée de la marche a pris une importance considérable à cause de la complexité de la mise en œuvre qui lui confère un gage de haute scientificité.  Autret dit  "plus le traitement est complexe, plus il est « efficace ». Chacun pense qu’on va réellement analyser cette marche et détecter ce qui ne va pas pour le corriger !  Or le nombre d’électrodes est faible compte tenu de la complexité des synergies mises en jeux dans les différentes phases de la marche. Et surtout, la distance d’étude est très courte et permet au patient de marcher en attention focalisée.

Pour qu’elle soit plus intéressante, il faudrait la faire intervenir à l’issue d’un six minutes fait à pleine vitesse pour voir quelles sont les synergies utilisées quand il est fatigué. Il faudrait ensuite lui demander de couvrir ces dix derniers mètres à pleine vitesse pour étudier les synergies qui se développent en attention externe.

En fait, l’analyse « quantifiée » de la marche nécessite un simple chronomètre pour mesurer une vitesse sur une distance ou pour compter le nombre de pas sur une distance. Mais il est plus intéressant de mesurer le nombre de pas sur 100 mètres que sur 10.
On devrait débaptiser l’analyse quantifiée de la marche pour l’appeler l’analyse « qualifiée » de la marche. Ce qu’elle est réellement, car c’est bien à la qualité de la marche que s’attachent les observateurs. Mais cela entacherait de subjectivité sa représentation scientifique. ». 
Ressortirait alors le versant esthétique de l’examen qui cherche à corriger les « défauts » (en vérité des déficiences). La correction des défauts colle parfaitement au projet du patient (ou des parents dans les cas d’IMC) mais est-ce si objectif que cela parait ?

Par ailleurs les traitements qui découlent de cet examen sont de deux ordres :
-       Allongements tendineux qui peuvent être déterminés par des examens d’amplitudes en charge.
-       ou diminution de synapses par toxine ou neurotomie qui viennent enlever des plaques motrices actives à quelqu’un qui en est déjà fort dépourvu. Alors que le pari de la rééducation intensive c’est d’utiliser toutes les plaques motrices existantes pour les éduquer et élever par la répétition leur seuil d’excitation à la spasticité. On ne peut pas d’un côté prétendre à la plasticité cérébrale par synaptogénèse et vicariance et décréter péremptoirement que telle ou telle plaque motrice n’a plus le droit de vivre ! De plus, on connait très bien à l’avance les sites que l’on veut détruire partiellement : adducteurs, ischio-jambiers, triceps suraux. La piste AQM de 10 mètres est loin d’apporter les éléments qu’apportent un 6 minutes à pleine vitesse ou un examen de postures d’étirements. Mais il renforce la confiance du patient dans la décision médicale.

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Je pense que le savoir-faire praticien doit être enseigné au même titre que les savoirs. Si la recherche de la « pratique basée sur des preuves » met particulièrement l’accent sur les contenus et les techniques,
 il nous semble important de nous pencher aussi sur les « contenants » :
-     L’espace et la façon dont nous pratiquons l’«aménagement matériel du milieu» pour favoriser un apprentissage.
-     La durée consacrée à la séance, (individuelle ou de groupe).
-     Les théories de l’apprentissage : loin d’adhérer exclusivement à une école de pensée, nous faisons autant référence au béhaviorisme qu’aux constructivismes en fonction de la situation du patient. Les voies de l’apprentissage sont impénétrables et nous essayons de nous adapter à ce qui « marche » avec ce patient. (Ce n’est pas toujours évident)
-     Le contenant c’est aussi l’accueil du patient, son écoute, son recueil de capacités, (beaucoup plus long que le bilan des déficiences et incapacités mis en évidence par les échelles. Ce qu’Alain Autret appelle « les facteurs psychologiques non spécifiques »[1].
-     C’est aussi les objectifs du patient et ceux du kiné (qui peuvent parfois diverger).
-     C’est la fiabilité intra-opérateur des bilans critériés que le praticien met en place pour suivre au plus près l’évolution et la rapporter fidèlement au patient parfois anosognosique
-     C’est la familiarité qui s’installe au fil des années que le patient cherche à prolonger par des relations plus personnelles. C’est pourquoi, nous répondons aux invitations que les patients nous lancent parfois, par l’organisation annuelle d’un repas au restaurant auquel s’inscrivent ceux qui le veulent.
-     Mais c’est aussi les conflits qui peuvent naitre parfois du fait de cette longueur relationnelle ou des situations difficiles avec les patients qui s’aggravent. C’est pourquoi, nous nous interrogeons sur nos pratiques, une fois par mois, entre pairs, en présence d’une psychologue extérieure à l’équipe.
-     Mais, le contenant c’est aussi les objectifs des pouvoirs publics vis-à-vis des « Affections Longue Durée ». C’est le choix de rétribuer la rééducation motrice de l’hémiplégique moins cher que la rééducation motrice de deux membres d’un jeune sportif. Est-ce que les pouvoirs publics ne vont pas prendre l’auto-rééducation comme argument ? Que fera-t-on des patients chroniques qui ne rentreront pas dans un processus d’autonomisation dans leur prise en soin ? Est-ce qu’on va continuer à s’occuper des plus handicapés sans rien attendre ? (Etymologie de thérapie : prendre soin de).
Actuellement, le kinésithérapeute reste relativement libre dans l’exercice de son art et le choix de ses techniques. Il adopte tour à tour plusieurs postures : rééducateur, psychologue pour l’écoute, thérapeute manuel pour soigner, coach, entraîneur, pédagogue, éducateur à la santé, Mac Gyver pour aménager l’espace ou réparer provisoirement un fauteuil roulant et même animateur pour détendre l’ambiance…parce que la chronicité c’est long !

[1] Autret A. Les effets placebo: des relations entre croyances et médecines. Editions L'Harmattan; 2013.
https://neurorehabilitationposturosegmentaire.blogspot.com/search/label/IV%20Conclusion

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